LE BILLET TRIMESTRIEL DE

MAURICE BAUDET

 
                                                                                                                          

 

 

De la leçon à l’assaut (et vice-versa)

 

 

Un bon maître d’armes est un homme qui est partout à la fois, et a l’œil à tout. Or nous avons, sans conteste, en Maître Cagnet, un modèle du genre. Avez-vous remarqué comment il surveille, tout en donnant la leçon, en réparant des armes où en discourant avec un tireur, ce qui se passe sur les autres pistes ? Il nous observe, d’un œil parfois amusé, souvent goguenard, intéressé même, interrogateur ou alors carrément consterné, mais jamais indifférent. Ses remarques, ses critiques ou ses questions, il vous les resservira avec élégance et savoir faire, et presque sans mot dire, lors de votre prochaine leçon.

 

Las, dans l’art difficile de l’escrime, l’un des points les plus délicats est de pouvoir transcrire à l’assaut ce que l’on apprend avec le Maître, et de garder à l’esprit lors de la leçon les nombreuses erreurs commises à l’assaut. Il y a tout de même, mais ils sont rares, des moments de grâce. A peine remis, le visage empourpré et le jarret en feu, de quelques longues minutes passées à la recherche du geste enfin juste, vous vous précipitez sur le premier adversaire venu pour lui faire goûter ce fort joli contre de quarte que vous vous êtes échiné à réussir à la leçon. Et ça marche ! Vous êtes dans un état second. Vous vous voyez réussir, à tel point que vous vous demandez ce qui vous arrive, et si ce n’est pas un autre qui tire à votre place.

 

Quelques jours après, vous remettez ça, et rien ne passe ! Tout est à recommencer, et le Maître esquisse un sourire qui signifie, sans aucun doute : « -Vous n’auriez pas oublié quelque chose ? ».

 

Il y a aussi, mais ils sont encore plus rares, ces moments de lucidité où vous réalisez, lors de la leçon, ce qui cloche, et ce depuis longtemps, dans votre mouvement. Le geste correcteur du Maître, passant par votre arme, parvient au cerveau qui se décide enfin à donner une impulsion juste à votre main, votre bras, vos jambes, (ou même les trois à la fois, mais ça, hélas, pour un tireur moyen, c’est exceptionnel). Vous avez compris ! Mais attention, ce qui est compris dans l’instant n’est pas nécessairement acquis à tout jamais. Rappelez-vous que la qualité d’un bon pédagogue est de vous prêter sa propre intelligence. Mais il n’est pas idiot, il vous la prête seulement et vous la reprendra à la sortie !

 

Qu’importe, même si vous n’êtes pas un élève surdoué, vous connaîtrez de tels bons moments où le corps enfin vous obéit, où le cerveau n’est pas une machine à distiller la confusion et l’inquiétude. Ils vous paieront largement de tous ceux où le doute et le découragement vous ont effleuré, voir salement écorché, et le souvenir de ces instants de grâce, de ces éclairs de lucidité, vous répétera avec le plus grand à propos : RECOMMENCE !

 

MB