Bretteurs célèbres

 

Miguel de Cervantes Saavedra

 

 

 

« L’épée n’a jamais émoussé la plume, ni la plume l’épée »

                                              

Cervantes

 

 

Le saviez-vous ? L’aimable conteur et poète que fut Cervantes ne devait saisir la plume que sur le tard, aux abords de la cinquantaine (à l’époque c’était déjà un âge fort avancé), et cet homme n’avait jusque là guère manié que l’épée …

 

Cervantes naquit d’un père chirurgien. Ce métier était alors à peine mieux considéré que l’état de barbier, et bien moins prestigieux que celui de médecin. Ce brave homme vivait chichement de sa lancette, il était même chroniquement impécunieux, et à la quête d’une fortune improbable, il entraîna sa famille de Alcalá de Henares, lieu de naissance de notre héros, à Valladoid, à l’Andalousie puis enfin à Madrid. Malgré sa fortune fort modeste, le jeune Cervantes,  « hidalgo » c'est-à-dire issu de petite noblesse, fit de fort bonnes études. Bon étudiant, il fut toutefois, nous raconte la chronique, assez turbulent. Il se distingua très vite par un tempérament bouillant et farceur, prompt à pourfendre de son épée … des outres de vin auxquelles il avait peut-être fait trop honneur.

 

Elève d’un disciple d’Erasme, le jeune homme avait acquis un bagage assez solide pour suivre à Rome le cardinal Acquiviva. Il avait 21 ans et venait de publier son premier poème. Ce n’est toutefois pas sa plume qui l’incita au voyage, mais bel et bien l’épée. En effet, il prit la fuite à la suite d’un duel. La justice espagnole ne plaisantait pas dans une tel cas : le coupable était condamné à avoir la dextre tranchée.

 

La vie auprès d’un prélat de l’église romaine, promu camérier du pape, devait sans doute manquer de piment. A 23 ans, Cervantes demanda confirmation de ses titres de noblesse, et, nanti de ce seul bagage, s’engagea dans les troupes pontificales commandées par Colonna. Il devait y retrouver son frère Rodrigue, dont il défendit l’honneur lors d’un nouveau duel. Cervantes combattit vaillamment à la bataille de Lépante, en 1571, sous le commandement de Don Juan d’Autriche. Il y trouva des titres de gloire, mais aussi deux coups de mousquet dans la poitrine et une vilaine blessure au bras gauche. Sa main désormais inerte devait lui valoir son sobriquet de « manchot de Lépante. »

 

Avec Rodrigue, il prit encore part à plusieurs campagnes, mais profita du répit hivernal pour découvrir l’Italie, et surtout Dante, Pétrarque et Boccace.  En  1575, Cervantes prenait le chemin du retour vers l’Espagne, à bord d’une galère. Las le voyage le contraignit à des détours fort inattendus. Des pirates s’emparèrent du vaisseau devant Marseille et voilà Miguel et Rodrigue expédiés chez les barbaresques, à Alger. Le futur père de don Quijote ne goûtait guère la vie du bagne, il tenta par cinq fois de s’échapper, et finalement, alors qu’on l’embarquait pour Constantinople, il fut racheté in extremis par Juan Gil (1580).

 

 


 

 

 

De retour en Espagne, il abandonna le métier des armes, se maria fort bourgeoisement avec Catherine de Salazar (juste après avoir, il est vrai, fait un peu moins bourgeoisement un enfant à une comédienne), prit un poste dans l’administration militaire, et, pour notre plus grand bonheur, se mit à écrire. A quoi tient le destin : la littérature aurait sans doute perdu un de ses plus grands génies, si l’administration avait accordé à ce fou d’aventure le poste aux Indes qu’il convoitait.

 

 

 

 

 

 

Alors que Cervantes écrit comédies et poèmes satiriques, ainsi que des nouvelles inspirées de ses aventures, sa vie n’a rien de franchement drolatique : il vit très chichement, et les frasques de ses sœurs, des dames aux mœurs fort dissolues, le conduisent à plusieurs reprises devant les tribunaux. Par la suite, ses connaissances assez approximatives de la comptabilité lui valent d’être accusés de malversations, jeté en prison et excommunié. 

 

En 1605, il publie la première partie de El Ingenioso Hidalgo don Quijote de la Mancha, qui connut immédiatement un succès fulgurant et l’incita à publier, en les remaniant, nombre d’oeuvres nettement plus anciennes.  C’est finalement don Quichotte qui devait tirer Cervantes d’une vie de déboires et de demi misère, le succès phénoménal de l’ouvrage lui permit d’achever sa vie, en 1616, dans une relative aisance.

Text Box: Don Quichotte.
Dessin de Pablo Picasso. 1955

 

 

 

Relisez ce don Quichotte : le bouquin n’a pas pris une ride. Cervantes, bretteur courageux, vrai héros de batailles bien réelles, se gausse de lui-même sous les traits de ce personnage improbable, ce héros dérisoire qui inaugure le roman moderne.

 

 

MB