Bretteurs célèbres :

 

Benvenuto Cellini

 

Musicien de talent, orfèvre et sculpteur de génie, mais aussi querelleur, paillard, hâbleur, aventurier, artilleur d’occasion, et trop volontiers duelliste, tel fut Benvenuto Cellini (1500-1571), l’un des plus grands esprits de la Renaissance italienne. Sa fâcheuse tendance à mettre un peu vite la main à sa rapière lui valut d’être banni de Florence, sa ville natale. Ses mémoires (Vita di Benvenuto di Maestro Giovanni Cellini fiorentino, scritta, per lui medesimo, in Firenze), qui couvrent la période 1500-1562, se lisent comme un roman d’Alexandre Dumas. Les deux auteurs ont d’ailleurs en commun le sens du rebondissement, le goût de l’épique, mais aussi le même laisser-aller dans l’écriture et la même désinvolture avec la vérité historique. Il n’y a guère plus de la moitié des dires de ce cher Benvenuto qui soient dignes d’être pris au sérieux, mais l’on se laisse volontiers prendre par ses outrances et le rythme endiablé de ses récits fantaisistes. Ces mémoires séduisirent Goethe, qui les traduisit en allemand. Hector Berlioz devait en tirer le livret de son opéra «Benvenuto Cellini» (1838) qui restitue merveilleusement la truculence et la démesure du personnage.

Mais revenons à ses velléités de duelliste. Il fut aussi précoce dans ce domaine que dans celui des arts. S’il maîtrisait la musique – comme flûtiste et compositeur - à l’âge de 15 ans, et se signalait comme un orfèvre accompli à celui de 19, une mauvaise rixe lui valut un premier bannissement de six mois alors qu’il avait tout juste seize ans.

 

Cellini n’avait pas vingt ans lorsque le différend qui devait lui valoir à nouveau le bannissement éclata : il venait d’installer sa boutique d’orfèvre dans le quartier du Mercato Nuovo, et la jalousie professionnelle l’opposa bientôt à la famille Guasconti. Des mots, on en vint assez vite aux mains, et Benvenuto assomma d’un coup de poing l’un de ses adversaires. Pour faire face au reste de la famille venu à la rescousse, il sortit un couteau en suggérant à ses opposants « de courir chercher un confesseur, car un médecin n’aura que faire ici.». Cet exploit lui valut une verte remontrance de part du Conseil    Persée (Loggia dei Lanzi, Florence)

 Des Huit. Dans la Florence du XVIe siècle, encore imprégnée de

l’esprit de Savonarole, ce ne devait guère être une partie de plaisir. Loin de calmer l’irascible jeune homme, cet épisode fit encore monter sa colère. Il fit irruption chez les Guasconti en plein dîner, une arme à la main, jurant de leur faire rendre gorge. La bagarre qui s’ensuivit ne valut aux belligérants que quelques bosses ou ecchymoses, mais le Conseil des Huit ne se contenta plus, cette fois, d’une banale mise en garde. Le jeune homme dut partir pour Sienne. Il emportait, raconte-t-il, épée et cotte de maille : l’aventure ne l’avait guère assagi !

 A quelque chose malheur et bon, ces bannissements l’obligent à voyager, et à s’éloigner de son père qui n’avait pas renoncé à en faire un musicien. Ce sera donc pour lui le départ de ses années d’apprentissage : il passe par Bologne, Pise, et enfin Rome où sont talent attire l’attention du Pape Clément VII. Mais avant de reconnaître l’artiste, le même Pape avait vu le jeune Benvenuto à l’œuvre lors du siège de Rome. Le fougueux jeune homme combattit vaillamment les lansquenets de Charles-Quint. Un coup d’arquebuse tiré du Château Saint-Ange expédia ad patres le Connétable de Bourbon, et valut à Cellini de se retrouver à la tête de l’artillerie papale. 

 Quelques années plus tard, nous retrouvons Cellini à Rome. Une sombre histoire de femme l’amène à se retrouver, épée en main, face à son rival accompagné de onze spadassins. Il se bat comme un beau diable, et s’en sort après avoir mis à mal quelques bretteurs, mais aussi la cause du conflit : Cellini, en portant un coup à son rival, vit sa pointe glisser sur sa cotte de maille, et atterrir sur … le nez de la belle.

 En 1530, Francisco, jeune officier et frère cadet de Benvenuto, est tué en tentant de venger la mort d’un de ses hommes. Benvenuto, qui avait d’ailleurs lui-même mis la main à l’épée lors de ce combat, n’eut de cesse que de trucider l’assassin de son frère, ce qu’il ne tarda guère à faire. Il se tire une fois de plus d’un mauvais pas en résistant à quatre soldats venus au secours de la victime. La protection papale vaudra à Cellini de ne pas être inquiété à propos de ce duel. Cinq ans plus tard, il est toujours à Rome et travaille d’arrache pied pour satisfaire aux commandes papales. Les faveurs de Clément VII lui attirent, dit-il, la jalousie féroce d’un autre orfèvre, Pompeo, qui semble décidé à faire disparaître de manière définitive ce trop talentueux concurrent. Un soir Cellini croise son confrère à la tête d’une petite troupe de spadassins. Il porte un coup de couteau à Pompeo, puis tire l’épée contre son escorte et la met en fuite. Pompeo reste sur place, raide mort.

 

Salière de François 1er, or, argent et émail,

(Kunshistorisches Museum, Vienne)    

 

Une fois de plus, l’indulgence (le mot est peut-être mal choisi) du pape Clément VII lui évitera les poursuites. Il faut peut-être s’interroger ici sur l’habileté de Cellini au maniement de l’épée. Il avait suivi l’éducation d’un jeune musicien, puis d’un artisan. Il n’a pas comme son jeune frère embrassé la carrière militaire. Et pourtant cet orfèvre avoue volontiers son goût des armes, et se lia, tout jeune homme, avec un personnage nommé Bevilacqua, un vieux brave, écrit-il, qui passait pour avoir été la meilleure lame d’Italie.   

 Et les quelques péripéties que je viens de vous conter ne sont qu’un pâle aperçu de la vie aventureuse de notre bonhomme. Je passerai sur son emprisonnement au Château Saint-Ange : jeté dans un cachot par le pape, il s’échappe, est repris, et enfin pardonné par le Saint-Père ! Je renonce aussi à évoquer ses nombreux déboires avec les femmes : ce coureur de jupons impénitent rentra même un instant dans les ordres et en sortit … pour se marier. Passons sur ses empoignades avec ces commanditaires, papes, princes et rois. Le seul personnage qui trouve grâce à ses yeux dans ses mémoires est Michel Ange, dont il fut l’élève et auquel il vouait une admiration sans bornes. Il se reprocha d’ailleurs longtemps de n’avoir pas su convaincre son maître de revenir s’établir à Florence. Notons que les deux personnages avaient tout pour s’entendre : aussi bagarreurs, excessifs, intransigeants l’un que l’autre.                                                            

  Un mot pour terminer de l’œuvre de Cellini : il est immense, et sa virtuosité est souvent immédiatement reconnaissable. En contemplant ses dessins, ses médailles, ses sculptures, ses travaux d’orfèvre, on comprend mieux la faiblesse coupable de Clément VII à son égard. Malheureusement, nombre des œuvres de Benvenuto Cellini ont aujourd’hui disparu, en particulier ses travaux d’orfèvre, victimes pour une part de l’imbécillité crasse de Louis XIV, qui fit fondre nombre de chefs d’œuvres pour financer ses campagnes militaires. Hélas le Roi Soleil n’était pas toujours éclairé. Ce qui nous reste aujourd’hui est éblouissant de génie, comme le fameux Persée, la salière de François 1er ou le troublant Narcisse du Bargello.        

 

 

  Narcisse, marbre (Bargello, Florence)

MB