LE BILLET TRIMESTRIEL DE

MAURICE BAUDET

 
                                                                                                                                                                   

 

Au bonheur des dames

 

L’aviez-vous remarqué, notre salle d’armes compte de plus en plus de charmantes escrimeuses. Les cours pour débutants du lundi soir sont même fréquentés par un essaim de ravissantes demoiselles, et par un seul jeune homme, qui semble bien intimidé et perdu en si bel entourage. Les lauriers que ne cesse de glaner notre équipe féminine, comme celle de nos voisins français, ne sont certainement pas étrangers à cette réjouissante invasion. Les succès de Daphné Cramer y sont sans doute aussi pour quelque chose. Enfin, et je gardais cet argument pour la fin, il y a l’Effet Lamon. Sophie Lamon est du bois dont on fait les vedettes médiatiques, même dans un sport qui, hélas, ne l’est toujours guère. Cette jeune collégienne qui rafle les médailles au sortir de l’adolescence fait rêver aussi bien les jeunes filles que leurs parents. Certes, lorsqu’on la voit arracher son masque et pousser un rugissement sauvage après une touche difficilement gagnée, nous sommes assez loin de l’image d’élégance aristocratique attachée à notre sport dans l’esprit du public. Mais enfin, elle accorde avec gentillesse des interviews, y parle avec respect de papa et maman même si elle avoue ne pas être toujours d’accord avec eux, elle s’entraîne avec le plus grand sérieux, et surtout elle gagne !

 

Donc, l’escrime féminine plaît, et c’est tant mieux. Le public accepte même de voir ces dames se mettre au sabre avec beaucoup moins de récriminations que lorsqu’elles avaient conquis le droit de tirer à l’épée. Quant aux réactions des escrimeurs, et bien je crois qu’ils sont ravis. Il y a fort longtemps que le machisme a déserté nos salles d’armes. Nous sommes fort loin de l’époque où, prudemment cantonnées au seul fleuret, les escrimeuses constituaient une petite minorité. Vous trouverez une belle illustration de ce temps là dans les toiles qui ornent notre salle. Mademoiselle Rambert, qui fait pudiquement tableau à part, est la seule femme présente. Monsieur Coutau (l’auteur de ces toiles) n’aurait sans doute pas eu l’impudence de représenter deux dames faisant assaut.

 

Saluons avec plaisir le chemin parcouru, et, pour vous le faire mieux mesurer, je n’hésite pas (mes charmantes camarades et ma propre fille me le pardonneront, j’espère), à vous livrer en illustration de ce billet l’image de l’escrimeuse de naguère. Cela frise le nunuche, et visiblement ces demoiselles devaient être cantonnées à être le gracieux ornement des tournois, et non les vedettes. Tous ceux qui comme votre serviteur ont eu l’imprudence d’accepter la souriante invitation de l’une de nos hôtes cubaines seront d’accord pour avouer que la donne a terriblement changé.

 

L’escrime féminine ? Elle nous vaut des moments de pur bonheur, et de plus les résultats brillants de nos escrimeuses suisses ont donné un coup de fouet bienvenu à notre équipe masculine, qui a enfin voulu démontrer, à Nîmes, qu’elle pouvait faire presque aussi bien que ces dames.

MB