LES
TROUVAILLES DE PIERRE BEAUSIRE
Reprenons le Registre du Conseil du 25 mai 1781. L’Auditeur donna l’ordre à son huissier de porter les convocations à comparaître aux deux adversaires ce qu’il fit le jour-même selon son rapport dont la rédaction est pour le moins primitive.
Du 25 may 1781 (Registre du Conseil)
Vu
l'information faite par le Sieur Auditeur Odier, le 4e de ce mois contre les
nommés Léchet et Tournier, arrêté que lesdits soient ajournés pour comparaître
céans à trois briefs jours.
«
L'an 1781 et le 25 mai, (texte original) je soussigné huissier, certifie
& rapporte qu'an suite du mandat de nos Seigneurs j'ai asigné et ajourné
les sieurs Léchet & Tournier a comparoitre en trois briefs jours a huit
heures du matin a la maison de ville a l'antichambre du Magnifique Conseil;
savoir au samedi 26 du courant, au lundy 28 du courant et au mercredi 30 du
courant a pienne de convixtion et Damande parlant en personne de la mère dudit
Tournier et de la veuve Fontaine chez qui ledit Léchet loge chacun avec copie.
»
Du 4 Juin 1781 (Registre du Conseil)
A
comparu Jean-Jacques André Léchet, natif et ayant été interrogé est convenu
de s'être
battu à l'épée
avec le nommé Tournier, nonobstant les défenses à lui faites par le Syndic de
la Garde de s'aggrédir* ; l'avis a été de l'envoyer aux prisons et de faire
recevoir ses réponses par un Sieur Auditeur.
Entrée
de l’antichambre
du Magnifique Conseil
Du 5 juin 1781
[Registre des écrous}
Jean-Jacques Léchet, fils de feu Jean-Pierre, natif, ouvrier graveur, âgé de 34 ans, s'est rendu aux prisons par ordre de Nos Seigneurs après s'être battu à l'épée. A Genève, ce 5e juin 1781.
Du 5 juin 1781
Nous Auditeur soussigné, ayant reçu ce matin l'ordre de Noble De Candolle, Seigneur syndic, d'aller recevoir les réponses personnelles de Léchet lequel s'était rendu aux prisons depuis hier, nous nous y serions transporté tout de suite et les aurions reçues, ci-jointe :
Des
neuf questions, on apprend qu'en effet, Léchet s'étant trouvé à Carouge, au
logis du Soleil d'Or, sans avoir aucun dessein de querelle, il rencontra, par
hasard, le Sieur Tournier et qu'ils renouvelèrent une ancienne difficulté
qu'ils avaient eue ci-devant ensemble. Il se vit dans la nécessité de se
battre, après quoi ils furent effectivement se mesurer. Il ne peut dire qu'il a
été provoqué mais que la dispute s'entama de part et d'autre par des
reproches mutuels.
Tournier
ayant été blessé légèrement, ils continuèrent à se battre, puis lui-même
fut blessé au bas des côtes et ils cessèrent alors et il se rendit au logis
de la Tour où il y fut pansé. Dans la nuit des amis vinrent le chercher et
l'engagèrent à aller à Coppet en lui disant qu'il y serait plus tranquille,
ce qu'il fit mais il revint en ville aux ordres du Magnifique Conseil.
Il
ne s'embarrassa point de ce que fit Tournier, pensant pour lors à lui et à sa
blessure.
Quant au
fait d'avoir transgressé les arrêts du Seigneur de la garde et sa promesse de
ne plus se battre avec le Sieur Tournier, il prétend croire qu'ils avaient été
levés, que trouvant son honneur compromis, il ne crut pas qu'on put lui en
faire un crime. De plus, la dispute ayant eu lieu sur terre de Savoye il ne crut
pas manquer à sa promesse.
Enfin,
il est bien fâché de sa faute et en demande pardon à Dieu et à la Justice,
cependant, il estime s'être conduit dans cette affaire en honnête homme.
Odier,
auditeur
Du 6 juin 1781 [Registre du Conseil)
Vu
les réponses personnelles de J.-J. A. Léchet, reçues le 5e de ce mois par le
Sieur Auditeur Odier, et vu l'information, arrêté que le Seigneur Conseiller
des prisons fasse répondre ledit Léchet.
C'est donc le Conseiller J.-J. Dunant qui reprit la suite du questionnaire, le 6 juin 1781, d'où il ressort, des onze demandes, la même histoire avec quelques légers détails supplémentaires :
Le
lieu du combat se trouve entre Lancy et Carouge, dans les plaines qui sont sur
la droite au haut du village de Carouge. Ils ne s'y sont pas donné rendez-vous
mais se sont rencontrés par hasard dans l'auberge du Soleil d'Or au bout de
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Carouge,
qu'ils prirent difficulté entre eux au sujet de leur précédente querelle et
sortirent sur-le-champ pour se battre.
A la
question de savoir si leur précédente querelle n'avait pas été terminée en
présence de Monsieur le Syndic de la garde et si ce magistrat ne leur avait pas
défendu de s'agredir ? S'il ne reconnaît pas qu'il s'est rendu très coupable
en désobéissant ainsi aux ordres qui lui avaient été donnés ? Il répond
que ce fut une malheureuse rencontre et qu'il croit devoir observer pour sa
justification qu'il n'était plus soumis aux arrêts que lui avait donné
Monsieur le Syndic de la Garde lesquels arrêts avaient été levés.
Ne
reconnaît-il pas qu'il est défendu dans tous les pays policés de se battre à
l'épée pour tirer satisfaction d'une injure vraie ou prétendue et qu'un tel
combat est toujours un acte punissable ? il sait bien qu'il n'est pas permis de
se battre mais que ce fut une promptitude dont il ne fut pas le maître, c'est
une fâcheuse rencontre.
Tournier
fut blessé le premier sur le teton droit et lui, répondant, reçut ensuite un
coup d'épée dudit Tournier au bas des côtes. Après le combat il se retira à
La Tour et de là à Coppet.
Du 8 juin 1781 (Registre du Conseil)
Jacob-Louis Tournier, natif, a comparu et a été interrogé et est convenu de s'être battu à l'épée avec J.-J. A. Léchet et l'avis a été de le faire réduire aux prisons et de faire recevoir ses réponses par un Auditeur .
Du 9 juin 1781 (Livre des
écrous)
Jacob Louis Tournier, fils de feu Pierre Etienne, natif, horloger, âgé de 21 ans, s'est rendu aux prisons par ordre de Nos Seigneurs après s'être battu à l'épée.
Genève, ce 9e juin 1781
« Nous Auditeur soussigné certifions qu'ayant reçu ce matin l'ordre de Noble De Candolle, Seigneur sindic de la Garde de nous transporter aux prisons pour y recevoir les réponses personnelles du Sieur Jacob Louis, fils de feu Pierre Etienne Tournier, natif, âgé de vingt un ans, horloger, prisonnier pour s’être battu à l’épée lequel s'y était rendu d'ordre du Magnifique Conseil. Nous nous y serions tout de suite transporté et les aurions reçues. »
Il reconnaît s’être battu avec le Sieur Léchet le 3e du mois de may dernier et avoue que Noble De Candolle, Syndic de la Garde leur avait fait défense de se battre mais que s’étant rencontrés à Carouge, dans une auberge dont il ne se rappelle pas de l’enseigne, ils prirent dispute ensemble et furent se battre dans un petit chemin près de cet endroit. Ils se battirent à l’épée et il fut blessé le premier mais dans la chaleur de l’action il ne s’en aperçut point ; peu après Léchet le fut aussi. Alors ils se retirèrent, Léchet du côté de la ville et lui, répondant, à Lancy. Il précise qu’il ne fut pas à Carouge dans le dessein d’y rencontrer Léchet mais uniquement dans l’intention de se promener. Il sent bien qu’il a manqué grievement en se battant malgré la défense qu’il lui en avait été faite et il en demande pardon à Dieu et à la justice, il en bien fâché et s’en repent.
J. Louis Tournier – Odier Auditeur
Du 9e juin 1781
Comme pour son adversaire, Jacob Louis Tournier fut interrogé par le Conseiller Dunant et il répondit de la même manière en précisant que le lieu du duel était dans un pré qui est derrière Carouge sans s’y donner précédemment rendez-vous pour se battre dans cet endroit-là. Il a simplement rencontré le Sieur Léchet dans un logis à Carouge, ils prirent difficultés ensemble et sortirent sur-le-champ pour se battre.
Il ne saurait dire précisément quel fut le sujet de leur difficulté mais ils se tinrent réciproquement des paroles vives dont le combat fut la suite.
Le Seigneur syndic de la Garde les avait bien mandés au sujet d'une querelle qu'ils avaient eue précédemment; il leur avait fait défense de s'aggredir et ils avaient promis l'un et l'autre d'obéir à cette défense mais leur première querelle était une affaire finie.
Il
ne saurait dire lequel proposa à l’autre de s'aller battre. Il blessa en
effet ledit Lécher ; il fut aussi blessé; que ce fut lui, répondant, qui
reçut la première blessure.
A
lui représenté qu'il prétend que son combat avec le Sieur Léchet a été
l'effet d'une rencontre que ce qui prouverait cependant le contraire est que
tant lui que le Sieur Léchet se trouvèrent dans Carouge ayant chacun leur épée
tandis qu'ils ne sont pas dans l'usage de la porter ? il répond qu’il porte
très souvent l'épée et que le Sieur Léchet la porte aussi fréquemment.
Il
reconnaît encore qu'il n'est pas permis de tirer satisfaction d'injures que
l'on reçoit et qu'il a manqué aux lois et au bon ordre en se battant à l'épée
avec le Sieur Lécher.
Après s’être battu il alla à Lancy.
J.
Louis Tournier - J. J. Dunant, Conseiller
A
suivre
P. B.