«J’ai une vie à côté de l’escrime»

 

Sophie Lamon poursuit sa progression. Le week-end dernier à Luxembourg, elle a pris la troisième place d’une Coupe du monde seniors.

 

Entre l’école et son sport, ses journées sont bien remplies. Mais l’épéiste sédunoise n’a pas l’impression de passer à côté de sa jeunesse. A 17 ans, elle n’oublie pas de vivre.

 

Au domicile des Lamon, dans la zone piétonne sédunoise, c’est une Sophie rayonnante qui nous ouvre la porte. Le premier regard ne trompe pas: la double médaillée d’argent - olympique et championnat du monde - par équipe est bien dans sa vie. La troisième place - le premier podium de sa jeune carrière dans un tournoi de Coupe du monde seniors - obtenue vingt-quatre heures auparavant à Luxembourg est venue renforcer ce bien-être. Pour la jeune épéiste sédunoise (17 ans), l’année 2002 s’annonce apparemment sous d’aussi bons auspices que 2000 et 2001. Le moment est idéal pour faire le point avec elle.

 

Vous venez d’obtenir deux bons résultats à Tauberbischofsheim et à Luxembourg. Votre progression semble ne pas s’arrêter?

 

-Tout n’a pas été si simple cet hiver. Après les Mondiaux de Nîmes, je n’ai pas eu la moindre période de repos parce que la saison junior commençait en novembre. Je me suis retrouvée fatiguée fin janvier-début février. Au tournoi seniors de Budapest, j’ai d’ailleurs terminé au-delà de la 120e place. En février, j’ai coupé un peu pour me reposer. Ça m’a fait du bien. J’en veux pour preuve mes récents résultats. Cela dit, le fait d’être sur les deux circuits, juniors et seniors, représente une lourde charge. Ce sont deux mondes très différents. Je vais encore disputer les Mondiaux juniors dans deux semaines, mais, dès l’hiver prochain, je ne serai plus que sur le circuit senior de Coupe du monde.

 

«Un titre junior n’est pas très important»

 

-Cela signifie que vous ne vivrez que dans un monde d’adultes. Ne risquez-vous pas de vous retrouver en décalage par rapport aux personnes de votre génération?

 

-Bien sûr, j’ai du plaisir, en juniors, à côtoyer des gens de mon âge. Et peut-être ai-je passer à côté d’un titre majeur dans la catégorie. Mais ce n’est pas très important sur la longueur d’une carrière. De plus, le mode de vie, chez les seniors, me plaît. Vous savez, ce n’est pas un monde de vieux.

 

-On a l’impression que pas mal de jeunes sportifs, filles surtout, se font «voler» leur jeunesse et leur adolescence parce qu’ils sont plongés très tôt dans le monde de la compétition adulte...

 

-J’ai conscience, à mon âge, de mener une existence particulière, d’avoir la chance de beaucoup voyager. Mais je n’ai pas pour autant l’impression de passer à côté de quelque chose. Je ne suis

pas comme ceux qui sont huit heures par jour dans leur sport. Moi, c’est deux heures. J’ai une vie à côté de l’escrime. A l’école, je suis avec des copains et des copines de mon âge.

 

 

Une prime de... 200 francs

 

-L’escrime a ceci de particulier qu’elle n’offre pas de perspectives financières intéressantes. Ressentez-vous une certaine frustration?

 

-Pas du tout. La question de faire de l’escrime un métier ne se pose pas. Je vous donne un exemple: le tournoi de Luxembourg est un des rares tournois dans lequel on touche un peu d’argent. Pour ma troisième place, j’ai reçu...  200 francs. En fait, grâce à l’Aide sportive suisse et à un ou deux petits soutiens, je couvre mes frais. L’escrime ne me coûte rien. Ça me suffit. Je n’ai pas du tout envie de pratiquer un sport qui rapporte de l’argent. Je me sentirais mal si j’étais contrainte à un résultat pour assurer une rentrée d’argent.

 

PAROLES

 

-Les voyages qu’elle fait: «Ce serait bête de ne pas profiter de découvrir les endroits où on est. Encore que, parfois, on n’a guère le temps de voir autre chose que l’hôtel et la salle des compétitions. Cela dit, je préfère me promener et m’imprégner de l’ambiance d’une ville plutôt que de voir un monument ou un musée particulier».

 

-La décision de la Fédération internationale d’instaurer des tournois mixtes par équipes afin de faire une place pour le sabre féminin aux JO: «Je n’ai rien contre le sabre féminin, mais je ne pense pas que ce soit une bonne chose de créer des compétitions mixtes. Un garçon ne se coache pas de la même manière qu’une fille. Certains pays n’ont pas la chance d’être compétitifs chez les filles et chez les garçons. D’ailleurs, les athlètes sont dans l’ensemble opposés».

 

-L’attitude face à l’adversaire: «On doit avoir une vue d’ensemble de l’adversaire. La main est importante bien sûr, mais il ne faut surtout pas négliger les reste. Les yeux? Avec les masque grillagé, on ne peut pas les voir. Cela changera si le masque transparent est davantage utilisé».

 

S  COMME

 

Séverine, Sophie, Sébastien: Ernest et Janine Lamon ont donné à leurs trois enfants un prénom commençant par la lettre S. «Un pur hasard», souligne Ernest. Une seule lettre donc, S, et un seul sport, l’escrime. Les trois enfants Lamon manient l’épée. Comment Sophie voit-elle Séverine (20 ans) et Sébastien (15 ans)?

 

«Séverine a fait de l’escrime très jeune avant de s’orienter vers l’athlétisme. Quand elle a recommencé l’escrime, elle est repartie de zéro. A 17 ans, c’est dur. Elle est néanmoins sortie championne suisse universitaire. C’est une bonne coéquipière dans une équipe». «Sébastien a commencé l’escrime tout petit. Au début, ce n’était vraiment pas une priorité pour lui. Maintenant, il croche bien. Et il est doué. Il a d’ailleurs remporté le circuit national des minimes».

 

Ernest Lamon précise à propos de ses trois enfants: «Pour Janine et moi, le sport est une forme d’éducation de la vie, raison pour laquelle nous en avons toujours fait avec nos enfants. S’il y a des résultats, tant mieux, mais ce n’est pas le plus important». Sophie renchérit: «Avant une compétition, jamais on ne m’a dit: «Tu dois faire tel ou tel résultat».

 

Source: Le Matin, dimanche 24.3.2002

Sion, Textes: Bernard Morel - Photos: Isabelle Favre