Text Box: LES TROUVAILLES DE
PIERRE BEAUSIRE

 

                                                                                                                           

 

 

1781 : Duel à Carouge (suite et fin)

 

 

« Edits civils de la République de Genève » approuvés en Conseil général rendu dans le Temple de Saint-Pierre, le 5 octobre 1713 :

 

Des causes en matières criminelles : Article IV : Si les deux parties sont trouvées en flagrant délit, ou querelle, où il y ait effusion de sang ou grande blessure, il sera permis de les mener devant un des Auditeurs du droit…

 

Article VI : Dès le moment que quelqu’un aura été obligé de revêtir les prisons, le geolier devra écrire sur son registre décroüe, le jour et l’heure de l’emprisonnement…

 

Article IX : Tous les juges seront obligés de faire faire lecture à un prévenu de son interrogatoire.

 

 

Les prisonniers ayant répondu aux questions de l’Auditeur Odier et du Conseiller Dunant ont accepté d’être jugés en l’état de l’instruction (ce qui leur évite un procès long et fastidieux incluant l’introduction d’avocats et de conseillers) net le Conseil a donc poursuivi ses délibérations.

 

 

Des 8 et 9 juin 1781 (Registre du Conseil)

 

Vu les réponses personnelles des prisonniers, reçues le 6e et 9e de ce mois par

M. Dunant, Seigneur Conseiller et vu la procédure, arrêté de leur faire demander s'ils consentent d'être jugés en l'état actuel de la procédure.

 

 

Du 11 juin 1781 (Registre du Conseil)

 

Rapport a été fait que J.-J. A. Léchet et Jacob Tournier consentent d'être jugés dans l'état actuel de la procédure.

 

Passant au jugement des susdits Jean-Jacques A. Léchet et Jacob Tournier ils ont été condamnés à venir céans pour y être grievement censurés de leurs délits dont ils demanderont pardon à Dieu et à la Seigneurie, aux prisons qu'ils ont subies, à un mois de prison en chambre close et en outre ledit Léchet, vu sa récidive, a été condamné à trois mois de prison en sa maison et ledit Tournier à deux mois de prison en sa maison et aux dépens, leur faisant défense de s'aggrédir ni ici, ni ailleurs, les renvoyant par-devant le Noble

Consistoire pour y subir les censures ecclésiastiques, ce qui leur a été prononcé et ils ont satisfait à la réparation.

 

 

Du 22 juin 1781 (Registre du Conseil)

 

Vu la requête de J.-J. A. Léchet, natif, aux fins qu'il plaise au Conseil user des bontés envers lui et vouloir bien le relever du temps qui lui reste à passer dans les prisons ou du moins de commuer cette peine en une détention domestique: arrêté de commuer ladite peine en une prison en sa maison pendant le terme qui reste à couvrir de son dit jugement.

 

 

Du 22 juin 1781 (Livre des écrous)

 

J.-J. A. Lécher, libéré par ordre de Nos Seigneurs en commuant la peine des prisons à faire en une prison domestique pour le reste du temps, à payer ses frais de Geôle, à être gratifié de tous autres par décret mis sur requête.

 

 

Du 23 juin 1781 (Registre du Conseil)

Vu la requête de Jacob Louis Tournier, natif, aux fins qu'il plaise au Conseil en ses bontés envers lui, et vouloir bien commuer sa peine en une prison domestique pour le temps qui lui reste à couvrir de son jugement: arrêté d'accorder au suppliant sa demande.

 

 

Du 23 juin 1781 (Livre des écrous)

 

Jacob Louis Tournier a payé ses dépens de geôle sauf les droits du Magnifique Conseil desquels il a été gratifié ainsi que ceux de justice et de M. l'Auditeur .

 

 

Du 6 juillet 1781 (Registre du Conseil)

 

Vu la requête de Jacob Louis Tournier, natif, aux fins qu'il plaise au Conseil de commuer la peine de sa prison dans sa maison de la ville et lui permettre d'en aller passer le temps qui lui reste à couvrir à Ferney, s'engageant à ne pas paraître sur le territoire de la République pendant ledit terme: arrêté d'accorder au suppliant sa demande sous ladite condition.

  

Text Box: Rue Ancienne à Carouge

 

 

 


 

Les deux antagonistes se sont bien tirés d’affaire quand on lit, à titre de comparaison, que le 21 janvier 1781 Jean-Claude Draillat, des Allinges, laboureur, a été condamné pour rupture de ban, à grièves censures, au fouet à la maison de correction et banni sous peine de galère. !

 

ATTENTION : Le 3 mai 1781 (soit le jour du duel) Jacob Tournier avait déjà eu des difficultés avec un nommé Daniel Carré, se disant maître d’armes. Ces faits sont indiqués au registre de la Procédure criminelle mais n’ont pas été repris par le Conseil. Ce dénommé Daniel Carré sera poursuivi encore trois fois pour diverses infractions et en 1792 pour un duel avec Maître François Renevier dont le petit-fils sera dès 1862 le premier maître d’armes de notre Société. Nous le retrouverons donc bientôt dans nos pages.

 

Agredir ou aggredir, vieux mot probablement genevois signifiant agresser qui est lui-même considéré par les dictionnaires comme vieilli. On trouve aussi dans les textes de l'époque qui concerne notre histoire: «De nombreuses personnalités s'exilèrent volontairement en raison de l'agrestité du moment.»

 

Pour en savoir plus j'ai fait appel à mon ami et ancien sautier de la République, actuellement président du Club de la Grammaire, érudit et chercheur invétéré Pierre Stoller qui m'a répondu ce qui suit :

 

«Etymologie: vient du latin adgredior, adgredi, adgressus sum qui signifie aller vers, s'approcher, aborder, entreprendre quelqu'un, chercher à, circonvenir, attaquer, entreprendre.»

 

Dictionnaire: Ce mot ne figure ni dans le Grand Larousse du XIXe siècle, ni dans le Littré, ni dans le Dictionnaire de l'Académie française, ni dans le Dictionnaire universel d'Antoine Furetière (de 1690).

En revanche, on le trouve dans le Dictionnaire des mots oubliés du XIle au XIXe siècle, de Christian Lacour, 1999 :

 

Agrédir : Verbe du français local, encore en usage, bien que son synonyme agresser soit d'un emploi plus courant. Agrédir est une forme savante calquée sur le latin. L'italien dit semblablement aggredire. A noter que le verbe agresser n'est revenu en usage qu'à la fin du XIXe siècle et fut longtemps considéré comme un barbarisme.

 

Enfin, il a sa place dans le Dictionnaire suisse romand, d'André Thibault, 1997 : Agrédir, v. tr. (parfois Aggrédir) Attaquer, assaillir, provoquer (l'exposition consacrée au Jura agrédie par les Sanglier (groupement antiséparatiste) Le Pays du 30 janvier 1978. Considéré comme rare. Latinisme propre au français de la Suisse romande, où il est attesté de manière espacée

mais régulière depuis 1534. « Ces brigands m’ont alors gravement aggrédi » (C.-F. Ramuz dans La guerre aux papiers, 1968).

 

Conclusions : Il s’agit, bien que d’origine latine, d’un mot de « chez nous », d’un romandisme voire d’un helvétisme.

 

De Candolle, Augustin (1736-1820) du Conseil des Deux-Cents 1770, syndic de la garde 1783, premier syndic 1785 et 1789. Il avait du crédit dans le parti des Représentants et les Natifs, rassurés qu’ils étaient par l’air de confiance du syndic, étaient accoutumés à respecter les ordres du magistrat. Il fut condamné à mort par contumace par le tribunal révolutionnaire de 1794. Il participa à l’œuvre de la Restauration et fut membre du Conseil représentatif. Il refusa cependant d’entrer au Conseil d’Etat qui devait être élu le 12 octobre 1814 en raison de son âge.

 

Odier, Louis (1748-1817) médecin, auditeur, citoyen populaire et sage, modéré et bien intentionné.

 

 

Cornuaud raconte dans ses Mémoires que le 26 janvier 1789, après des menées ouvertes de la part du peuple, une affreuse sédition éclata à la veille de l’augmentation du prix du pain. Un chariot chargé de cette denrée escorté par quelques soldats que l’ancien auditeur Odier avait eu la précaution d’armer avec des fusils chargés à blanc (soit avec de la poudre seulement). Le chariot fut mis au pillage, les soldats désarmés et battus.

 

 

 

 

 

En novembre 1792, Odier, qui était devenu un chaud promoteur des idées nouvelles proposa au Conseil des Deux-Cents de s’occuper incessamment de la réunion politique de toutes les classes de Genevois. Il fut même mis en prison à l’Evêché, en 1794, pour avoir refusé de céder sa place de membre du Deux-Cents à un adversaire.

 

Cependant, en 1795, il n’entra pas complètement dans les idées progressistes de Cornuaud qui, déçu, ne le ménage pas dans ses Mémoires disant de lui : « Il avait de l’esprit mais pas de génie, de la capacité et non pas de talent. »

 

Cornuaud, Isaac (1743-1820) Ce Natif entreprenant échappe à sa condition de monteur de boîtes, devient maître d’arithmétique et se lance dans le combat politique en faveur des Natifs. Opportuniste, il obtient la bourgeoisie en 1784. Il se défend avec succès devant le Tribunal révolutionnaire de 1794 et devient président du cercle de la Grille où il doit jouer un rôle ambigu face à ses adversaires puis il se prononce en faveur de l’annexion de Genève à la France en 1798.

 

Dunant, Jean-Jacques (1742-1802), avocat, du Conseil des Deux-Cents 1770, procureur général 1777, châtelain de Peney 1780, élu Conseiller d’Etat le 19 mars 1781 et syndic en 1785.

 

 C’est peut-être ici

que Jacob Tournier

s’est réfugié

après son duel

 

 

Carouge, La conception de Carouge s’élabora progressivement à un important carrefour sur la route de Chambéry afin de lutter économiquement contre l’influence de Genève. Cité traditionnellement accueillante, Carouge possédait en 1766, 40 auberges et cabarets. Sa population passa de 568 en 1772 à 4672 en 1792. Chef lieu de province en 1780 son expansion subit un coup d’arrêt avec l’occupation de la Savoie par la France en 1792. Après le Traité de Turin de 1816, Carouge fut réunie au canton de Genève.

 

 

 

                                                                                                          P B