LE BILLET TRIMESTRIEL DE

MAURICE BAUDET

 

 

Bonjour, Maître

 Me le pardonnerez-vous, Maître ? Il aura fallu que j’en arrive à mon vingt-et-unième billet pour écrire enfin une chronique consacrée exclusivement au personnage central, au pivot indispensable que constitue cette figure archétypique de la salle d’armes : le Maître. Rappelons tout d’abord que dans votre salle, vous êtes le seul à porter ce titre, et que les académiciens,  les notaires ou les avocats sont priés de laisser le leur au vestiaire. Rien de plus normal : vous êtes le dépositaire de l’art des armes, et seul … maître en ces lieux.

 La tradition, dont vous êtes le gardien, veut que vous soyez la première personne que l’on salue en entrant dans la salle. Ce n’est pas toujours possible, car vous êtes à ce moment en train d’expliquer à une mère pourquoi le fruit de sa chair est arrivé fin dernier à un tournoi, ou occupé à corriger pour la nième fois le geste fautif d’un élève peu inspiré. Il n’en demeure pas moins que le « Bonjour Maître » vous est dû. La tradition veut aussi, et malheur à l’impudent qui l’oublie, que tout nouveau venu à la salle vienne s’annoncer auprès de vous. Commencer à tirer sans s’être acquitté de ce devoir, c’est simplement se comporter en malotru. 

 Une bonne part d’entre nous a eu affaire à une succession de maîtres, de styles et de tempéraments fort différents, et a vu aussi évoluer l’enseignement de l’escrime. Nous n’en sommes plus Dieu merci au temps où le Maître condamnait d’autorité tout débutant à six mois de mannequin, et ou un brin de sadisme faisait partie de son bagage pédagogique. La rigueur militaire ne passerait guère aujourd’hui, et je n’ose penser quelle réaction pourrait provoquer le châtiment qu’infligeait volontiers Me Léveillé à l’impudent qui entrait avec son arme au vestiaire : un coup de fleuret cinglant dans les mollets.

 Aujourd’hui, le Maître doit être un individu d’exception doté de toutes les qualités et même d’un certain nombre de vertus. Parmi les vertus, citons d’abord la patience: voyez-le passer sans se démonter d’un tireur qui râle parce que son arme n’a pas été réparée à des parents convaincus que leur progéniture serait couverte de médailles avec un Maître plus compétent, et du gamin qui a oublié la moitié de son matériel aux inscriptions pour le prochain tournoi, le tout revêtant naturellement le même caractère d’urgence immédiate ! Il lui faut aussi de la persévérance : elle nous est nécessaire à tous pour progresser un peu, et au Maître avant tout pour pousser son petit monde à acquérir cette vertu essentielle.

 Quant aux qualités, citons en vrac et sans tenter plus d’être exhaustif qu’avec les vertus : psychologie, sens de l’à-propos, sang-froid, fermeté, diplomatie, impartialité, endurance. Le Maître doit savoir corriger avec rigueur, mais aussi motiver sans flatter, faire preuve d’autorité à bon escient comme de souplesse et de doigté. Et même quand il arrive à jongler avec toutes ces qualités parfois contradictoires, d’aucuns trouvent encore qu’il n’en fait pas assez. Il lui faut aussi … et encore … en bref, il doit être un sacré bonhomme ! Alors avouez-le, sans aller jusqu’à lui confectionner une auréole, il mérite bien d’être salué avec un certain respect.

 

 

MB