LE BILLET TRIMESTRIEL DE

MAURICE BAUDET

 

 
                                                                                                                                                       

 

Restez Zen !

 Par une jolie matinée de printemps, à mon club de tennis, j’observais avec un brin d’amusement un joueur japonais. Il se tenait un peu à l’écart, et, raquette en main, il répétait inlassablement le geste du coup droit, puis du revers. Avec des grâces de ballerine, il effectuait ses gestes au ralenti, puis accélérait progressivement, les yeux rivés vers une balle imaginaire. Je fis alors bêtement rire la galerie à ses dépends en décrétant que ce joueur avait inventé le tennis Zen.

Quelques jours plus tard, je dus ravaler mes sarcasmes, et mon amour propre avec. L’inventeur du tennis Zen m’avait en effet renvoyé aux vestiaires sur un sec 6-1/6-1, et j’eus le sentiment de devoir mes deux petits jeux à la sportivité de mon adversaire : il s’était refusé à me voir perdre totalement la face.

 Je pense parfois à cet incident en observant à la salle un tireur qui, à la leçon ou seul, recherche patiemment le geste juste, et comme quelque vingt-cinq ans se sont écoulés, j’ai acquis juste ce qu’il faut de sagesse pour tenter d’en tirer un enseignement. Je tombais un jour, pas tout-à-fait par hasard, sur un  merveilleux petit bouquin : « Le Zen dans l’Art Chevaleresque du Tir à l’Arc », (Editions Dervy). L’auteur fait souvent référence à des concordances avec un autre art martial japonais, celui de l’épée, et consacre même un chapitre à ce dernier. Au Japon, la salle d’armes se nomme « Lieu de l’Illumination » et le Maître considéré comme « l’éclair jailli de la nue de l’universelle Vérité ». Même notre Maître avouera que nous n’en sommes pas encore là, mais …

 Comment ne pas être frappé par ce qu’écrit Takuan, un des grands Maîtres de l’épée :  l’élève observe son adversaire avec inquiétude ; il cherche assistance dans tout son art et dans toute sa science, et ne peut se défendre d’épier le moment le plus propice pour l’atteindre de la manière la plus efficace, et, toujours en retard pour porter le coup décisif, il est incapable de tourner l’épée de l’adversaire contre celui-ci. Plus il fera dépendre la supériorité de son escrime de la réflexion, plus il créera d’obstacles au libre jeu de « l’action du cœur ». Par « action du cœur », le Maître entend le détachement total, le vide : pour passer de la simple technique et le maniement magistral de l’épée, l’élève doit se dépouiller de toute intention et perdre toute individualité, il doit se détacher de l’adversaire et aussi de lui-même. Pour l’esquive ou la parade, l’élève est amené à pressentir les attaques de l’adversaire et à s’y soustraire d’instinct, se rendant indépendant de toute préméditation consciente. Ainsi, écrit Takuan « pour toi, il n’y a plus partout que vide-toi-même, l’épée que tu as tirée, les bras qui la conduisent, mieux encore, l’idée même du vide a disparu. D’un tel vide naît le plus merveilleux épanouissement de l’acte pur ».

Sans prétendre atteindre aux sphères d’une telle maîtrise, le plus simple bon sens nous oblige à constater  que plus nous réfléchissons à nos actions, moins notre épée suit notre intention. En revanche, plus nous nous concentrons sur le geste simple, juste, mieux il porte. Combien de fois n’avons nous pas regretté une attaque alambiquée, un vain tricot, et n’avons nous pas ragé, la touche prise, de n’avoir pas su exécuter une simple sixte. Alors, la prochaine fois que vous aurez l’impression que votre tête en ébullition ne commande plus votre main, et que votre adversaire, narquois, en profite sans vergogne, restez Zen !

 

MB