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1781
Duel en ville sarde (Carouge) !
Nous
avons fait la connaissance du grenadier Jean-Pierre Léchet, à l'occasion de
ses démêlés il y a une année à la rue de la Tertasse. Ce personnage devait
être particulièrement vindicatif puisque entre les mois de septembre 1780 et
mai 1781, il eut maille à partir avec un autre « ami ». En effet le Seigneur
syndic de la garde dut lui faire défense de s'agrédir avec le Sieur Jacob
Tournier.
Je n'ai malheureusement pas pu trouver cette interdiction (probablement orale), qui était manifestement connue de tous puisqu'il en est fait mention dans la déposition du capitaine de la garnison Théodore Garnier, du 9 mai, citée ci-après.
Pourtant, le 3 mai 1781, ces deux hommes se sont retrouvés à Carouge. Etant à l'étranger, les deux antagonistes se croyaient déliés de leur promesse.
L'histoire débute par la déclaration de l'auditeur Odier.
Verbal de l'auditeur Odier du 4 may 1781
«
Certifions que nous avons reçu hier au soir à huit heures et demies de Noble
De Candolle, Seigneur syndic, de prendre les informations sur la bataille qui a
eu lieu entre les Sieurs Léchet et Tournier, nous avons appris qu'en effet les
deux sus-dits s'étaient battus à l'épée un peu au-delà de Carouge, que tous
les deux étaient blessés, que l'un deux était à Carouge et que l'autre était
au logis de la Tour à Plainpalais où le Sieur Zink, chirurgien privilégié du
Sieur Larpin l'était allé panser. Nous nous sommes rendu ce matin avant six
heures suivi de nos huissiers audit logis et avons demandé au Sieur Gallet, hôte
dudit endroit où était celui des deux personnes mentionnées ci-dessus qui
avait été blessé, il nous a dit que c'était le Sieur Léchet qui avait été
chez lui, que hier au soir il s'y rendit accompagné de plusieurs personnes, y
avait été pansé par Zink et était sorti de chez lui dans la nuit. Nous nous
sommes informé de l'endroit où le susdit Léchet pouvait être. Nous avons
envoyé 1'huissier Chenevand chez lui mais n'avons pu savoir où il s'était
retiré. Nous avons appris que le Sieur Tournier avait été arrêté sur Savoye
où le duel s'est commis et n'ayant découvert personne qui en ait été témoin,
nous avons seulement reçu les deux dépositions cy-jointes, l'une du Sieur Zink
et l'autre de G. Gallet. Nous y joignons le rapport du Sieur Martin, chirurgien.
Odier, auditeur
«
Que hier au soir vers les huit heures le Sieur Léchet accompagné d'une autre
personne qu'il
ne connaît
point vint
chez lui, lui demanda un lit disant qu'il était blessé, qu'il avait
besoin de secours, sur quoi le déposant le fit monter dans une chambre à lit,
et envoya chercher le Sieur Martin, chirurgien, son voisin, lequel ne se trouva
pas chez lui, mais que son garçon vint et saigna le blessé sur la demande
qu'il lui en fit. Ledit Léchet dit simplement qu'il s'était battu sans ajouter
d'autres particularités. Il vint beaucoup de monde chez le déposant, qu'il
n'entendit aucun détail. Peu après le Sieur Zink vint panser ledit Léchet
conjointement avec le Sieur Martin qui s'y rendit aussi. Qu'il le soigna de son
mieux et fut se coucher vers les minuit et demi. Que ce matin, quand il s'est
levé, son sommelier, qui est Allemand, lui a dit que vers les deux heures le
susdit Léchet s'était en allé accompagné de quelques personnes qu'il ne
connaît pas. Le déposant ajoute qu'il n'a pas appris d'autres détails sur
cette affaire et qu'il ne sait pas où est ledit Léchet. »
Jaques Gallet - Odier, auditeur
A Plainpalais le 4e may 1781
«
Je soussigné, Henry Martin, chirurgien audit Plainpalais, agrégé au Collège
de médecine et chirurgie de la République de Genève, déclare par serment
qu'entre huit et neuf heures du soir, le 3e may, j'ai été appelé pour aller
visiter le nommé Léchet, au cabaret de la Tour du Pont d'Arve, qui était étendu
sur le lit, que j'ai trouvé blessé du côté gauche, fait par un coup d'épée,
en travers entre la 2e et la 3e côte. Ladite plaie peut avoir environ 6 à 7
pouces de longueur, après avoir bien examiné conjointement avec M. Zink,
privilégié de M. Larpin, nous n'avons point trouvé que la blessure pénétrante,
ce que j'atteste. » Audit Plainpa-lais le 24e may 1781
«
Godefroy, fils de feu Ferdinand Zink, de Buxwiller en Basse-Alsace, âgé de 32
ans, chirurgien privilégié du Sieur Larpin, par nous mandé et assermenté après
avoir sur les généraux pertinemment répondu dit et dépose.
» Que hier
au soir un peu après huit heures étant sur les parapets il fut accosté par
nombre de personnes qui lui dirent d'aller vite à Carouge pour panser deux
personnes qui s'étaient blessées en se battant, qu'étant vers la Porte Neuve
il entendit dire que c'étaient les Sieurs Léchet et Tournier, qu'étant à
Plainpalais l'on lui dit que le Sieur Tournier était resté à Carouge et que
le Sieur Léchet était à la Tour où il attendait ses secours; qu'il fut à la
Tour où il trouva effectivement le Sieur Léchet dans un lit entre les mains
d'un garçon du Sieur Martin, chirurgien, et de quelques amis, qu'il examina sa
plaie située du côté gauche au-dessous de la troisième fausse côte
traversant les muscles d'outre en outre, à
près
de 5 à 6 pouces, qu'il ne croit pas la blessure dangereuse. Que ledit Léchet
ne lui apprit aucune particularités. Le Sieur Martin, chirurgien, l'aida aussi
à faire ce pansement, qu'il ne l'a point revu ce matin et qu'il ignore où il
est. Autre n'a à déposer, répété lecture faite a persisté et signé avec
nous. »
G. Zink, chirurgien – Odier, auditeur
Lettre
du Sieur Intendant, Juge mage à Carouge du 7 may 1781.
« A Monsieur De Candolle, syndic de la Garde à Genève
Je crois que vous n'approuvez point, Monsieur, le combat qui est arrivé ici le 3e du courant vers les sept heures du soir entre les nommés Tournier et Léchet. Ils ont reçu tous deux quelques blessures et on dit celles de Léchet plus considérables. J'ai appris qu'il s'est arrêté à Plainpalais la nuit du 3 au 4 et que le lendemain il est sortit des terres de la République. Tournier en a fait de même ici le matin du 4 pendant que le juge de la Bâtie Meille prenait des mesures pour s'en assurer. Mais il pourrait se faire que l'on ait eu le temps à Genève avant l'évasion de Léchet de l'ouïr et de prendre le rapport de l'expert sur l'état de ses blessures. Dans cette espérance, je prends la liberté, Monsieur, de vous prier de m'en faire expédier un extrait authentique. La poursuite des coupables est de l'intérêt de toutes les sociétés, elles se doivent à ce sujet mutuellement des égards; c'est dans cette considération que je me flatte que vous voudrez bien me continuer à cette occasion les effets de votre complaisance ordinaire.
Du 7 may 1781
[Registre du Conseil)
Le 3e de ce
mois un combat entre les nommés Tournier et Léchet, lesquels ont été blessés,
que ledit Tournier arrêté à Carouge s'est évadé, que peut-être on a eu le
temps d'ouïr Léchet avant son évasion et de prendre le rapport d'experts sur
l'état de ses blessures. M. l'Intendant priant le Conseil de vouloir bien lui
faire expédier un extrait authentique, la poursuite des coupables étant de
l'intérêt de toutes les sociétés; arrêté de répondre que la procédure
contre les susdits a été commencée au moment qu'on a eu connaissance du duel
des susdits qui sont des nôtres, qu'ils sont fugitifs et que le Conseil se
propose de suivre à l'information dès qu'ils pourront être appréhendés et
de les juger.
Du 9 may 1781
Nous
auditeur soussigné Odier, certifions qu'ayant reçu l'ordre, il y a quelque
temps, de Noble De Candolle, Seigneur syndic de la Garde, de suivre à la procédure
contre Léchet et Tournier, nous aurions en conséquence reçu la déposition
ci-jointe du Sieur Gabriel Garnier :
Théodore,
fils de Gabriel Garnier, capitaine de la garnison, âgé de 38 ans, citoyen, dit
:
« Que se trouvant jeudy dernier 3e du courant, un peu après sept heures du soir à Carouge dans la rue avec Monsieur le commandant, le Sieur Tournier l'aîné les aborda et demanda au commandant s'il n'avait pas connaissance de deux personnes qui s'étaient battues dont l'un était Léchet et l'autre son frère, qu'on lui avait dit que son frère devait être tué, que la-dessus le commandant lui dit n'en avoir aucune connaissance, le déposant le tira à part et lui demanda de quel côté ils s'étaient battus, qu'il répondit qu'il n'en savait rien, que le déposant (capitaine), le Sieur Monloy (commandant) et ledit Tournier se mirent à courir et
furent
du côté de Lancy pour le chercher et le secourir, qu'effectivement ils le
trouvèrent à Lancy chez le chirurgien qui était occupé à le saigner (c'est-à-dire
Tournier le cadet). Que le déposant lui parla, lui fit offre de sa bourse et
lui représenta que Monsieur le syndic de la Garde les ayant accommodés, ils
n'auraient pas dû se battre; que Tournier répondit que l'affaire était
inaccommodable, qu'il avait d'abord eu envie de se battre au pistolet, que
cependant il se décida pour l'épée, qu'ils s'étaient rendus lui et le Sieur
Léchet séparément au bout du petit chemin qui conduit au-delà de Carouge,
qu'ils étaient entrés dans un pré et s'étaient disposés à se battre
lorsqu'un monsieur qu'ils ne connaissaient pas voulut les en empêcher, que Léchet
et lui l'engagèrent à les laisser faire, que quand même on les sépareraient
ce serait à recommencer. Que la-dessus ils se battirent, que Léchet le blessa
près de la clavicule et lui dit : tu es blessé en as-tu assez ? qu'il répondit:
cela n'est rien et se remit en garde et continuèrent à se battre. Que Léchet
le poursuivant vivement il l'avait surpris sur le temps et l'avait blessé dans
le bas-ventre. Léchet lui dit : tu m'as blessé de mauvais jeu continuons, sur
quoi il lui avait dit : le coup est bon bas les armes, et en même temps jeta
son épée à terre, Léchet lui dit encore: je veux avoir raison de ce coup.
Que lui, Tournier, s'était sauvé. Que quand Tournier fut pansé le déposant
le conduisit à l'auberge chez le Sieur Deria et le fit mettre au lit, après
quoi il revint à Carouge coucher. Autre n'a à déposer Répété lecture faite
a persisté et signé avec nous. »
Du 25
may 1781 (Registre du Conseil)
Vu
l'information faite par le Sieur Auditeur Odier, le 4e de ce mois contre les
nommés Léchet et Tournier, arrêté que lesdits soient ajournés pour comparaître
céans à trois briefs jours.
A suivre
P.B.