Bretteurs célèbres

 

Miyamoto Musashi (1584-1645)

 

Ami lecteur, attention. Les lignes qui suivent ne sont pas destinées aux âmes sensibles. Notre bretteur  d’aujourd’hui est un digne samouraï qui exerça ses talents au dix-septième siècle. Ne vous étonnez donc pas de trouver sang, fureur et violence au rendez-vous. Il est vrai qu’à la même époque, les guerriers de notre Occident très civilisé n’étaient guère plus tendres, et ils n’ont pas laissé derrière eux, comme le fit Musashi, un traité de philosophie … Au Japon, Miyamoto Musashi est encore aujourd’hui un héros national, objet de vénération. Imaginez un personnage qui tiendrait tout à la fois de Roland, de Bayard et de Jeanne d’Arc. Il a été incarné à l’écran, dans un cycle de films qui font les délices des amateurs, par le fameux Toshiro Mifume.

 

Miyamoto est en fait le nom du village où naquit notre futur samouraï. Son père lui enseignera les premiers rudiments de l’escrime, mais ce dernier sera tué en duel en 1591. L’enfant était brouillé avec son père à ce moment là, et en gardera à jamais un désir de revanche. Il ne devait guère attendre longtemps, puisqu’à peine âgé de treize ans, il envoie ad patres Arima Kihei, un matamore qui se faisait fort de battre n’importe quel adversaire. Il récidiva trois ans plus tard, laissant sur le carreau un célèbre maître d’escrime, Tadashima Akiyama.

 

Il serait lassant de relater ici tous les combats de Musashi qui laissèrent des traces dans les annales (ou la légende, il n’est guère aisé de faire la différence, mais à l’âge de 21 ans, Musashi comptait déjà plus de 60 duels). Retenons en tout de même quelques-uns :

 

Muso Gonnosuke était un expert en arts martiaux, qui avait eu l’occasion de rencontrer le père de Musashi. Il défia le fils, dégainant un gigantesque sabre d’exercice. Musashi, armé d’une simple branche qu’il venait de couper, força son adversaire à battre en retraite et l’accula dans un coin du tatami, son bâton pointé entre les deux yeux. La légende raconte que Gonnosuke, humilié, se retira dans un monastère, et y eut, par une vision divine, la révélation d’une nouvelle technique de combat qu’il codifia par la suite et qui est encore pratiquée de nos jours.

 

Sasaki Kojiro était l’un des plus habiles épéistes du Japon. Musashi le défia et, la veille du duel, s’installa dans une auberge proche du lieu du combat. Au matin suivant, Kojiro arriva à l’heure dite, mais pas Musashi ! Nombre de spectateurs s’impatientaient. L’on alla quérir le duelliste à l’auberge, ou il dormait paisiblement. Jouant avec les nerfs de son adversaire, il prit le temps de s’octroyer un bon petit déjeuner, et se rendit au lieu du combat, sans arme ni armure. Il se tailla en route une épée dans un bâton ramassé au bord du chemin, et se retrouva face à un adversaire bardé de fer et armé d’une impressionnante épée forgée par l’un des armuriers les plus réputés du pays. Au premier choc des combattants, Musashi vit le bandeau qui lui enserrait le front proprement tranché, au second Kojiro avait rejoint ses ancêtres.

 

La technique du retard délibéré destiné à mettre les nerfs de l’adversaire en pelote était commune à Musashi. Il en avait usé et abusé quelques années auparavant contre plusieurs membres de la famille Yoshioka, des escrimeurs fameux à Kyoto. Il défit l’un après l’autre plusieurs membres de cette famille. Décidé d’arrêter là ces effusions de sang, l’un d’eux, Matashihiro, provoqua Musashi, bien décidé en fait à lui tendre une embuscade avec quelques spadassins. Mais cette fois là, Musashi, fort

 

 

 

inspiré, arriva en avance. Caché, il observa les préparatifs de ce coup fourré, surgit soudain, tailla quelques uns des malandrins en pièces, et prit rapidement congé des autres, accompagné par une volée de flèches.

Notre samouraï s’est rendu particulièrement fameux par l’invention de la technique dite des deux sabres, un court et un long, technique qui n’est pas sans rapport avec celle de la dague et de la rapière. La légende veut qu’elle lui fut inspirée par les joueurs de taiko, ce gigantesque tambour nippon (voir ci-contre) dont la pratique, avec deux forts bâtons, est réservées aux athlètes. (Aux curieux, je recommande l’écoute, fort étonnante, des groupes Kodo ou Ondekoza, qui perpétuent la tradition, monastique à l’origine, du tambour japonais).

 

Musashi fut naturellement un maître recherché, même si ses méthodes pédagogiques étaient peu orthodoxes. Un escrimeur un peu trop confiant en son talent lui demanda un jour  des leçons. Musashi, agacé par la fatuité du personnage, prit délicatement un grain de riz dans le bol qu’il avait en mains, le posa sur le crâne dénudé d’un des valets du personnage, et, d’un coup de sabre, trancha le grain en deux, sans égratigner son support. Saisi de terreur, le gandin préféra prendre la fuite. Un samouraï devint le disciple de Musashi. Pendant trois ans,  son maître le fit couper du bois. Maître,  finit par dire le samouraï, j’ai derrière moi de longues années de pratique du sabre, mais depuis trois ans, il n’est pas sorti de son fourreau. Soit, dit Musashi, nous allons commencer l’entraînement. Et il le fit marcher sur l’extrême bord du tatami. Cela dura un an. Derechef, le samouraï se plaignit : Maître, apprenez-moi la vraie voie du sabre… Soit, rétorqua Musashi, suis  moi. Il le conduisit au bord d’un vertigineux précipice, enjambé par une étroite poutre. Comme son Maître l’enjoignait de franchir ce terrifiant ravin, le disciple hésitait, ne sachant quelle conduite tenir. Vint  alors un aveugle, qui, tapotant la poutre de sa canne, franchit l’obstacle sans hésiter. Le samouraï avait compris, il avait pendant un an suivi le bord du tatami, plus étroit que la poutre, il suivit l’aveugle. L’entraînement était accompli : trois ans pour le corps, un an pour la technique, et un court instant pour vaincre la peur de la mort.

 

A soixante ans, quelques mois avant sa mort, Musashi se retira dans une grotte pour y écrire «  Le Traité des Cinq Roues », livre d’action et sagesse. Côté action, je vous laisse, amis escrimeurs, méditer ce conseil : « Chaque fois que vous constatez qu’entre votre adversaire et vous tout grince, changez d’intention immédiatement et parvenez à la victoire en recherchant d’autres moyens plus avantageux pour vous. » Côté sagesse, voisin dans son esprit du manuel d’Epictète, cet ouvrage  développe la maxime de Musashi « Devenez l’ennemi ». Traduisez par : la première et  la seule victoire à remporter est sur soi-même. Je ne saurais mieux conclure qu’en vous laissant ses neuf principes, résumé de son enseignement :

 

 

MB