CONTRAINTES
MEDIATIQUES
A la suite des difficultés rencontrées pour organiser les épreuves d’escrime lors des prochains jeux olympiques d’Athènes, soit la suppression des épreuves de fleuret féminin par équipes et de sabre masculin, il peut être intéressant de comparer avec d’autres sports obligés de composer avec les mêmes impératifs.
Voici un article paru dans le TV-Guide de la Tribune de Genève, dû à la
plume de M. Frédéric Rein.
Charles Beausire
SPORT ET TÉLÉVISION
JEU DE SÉDUCTION
Athlétisme, tennis de table, volley-ball. Plus
aucun sport ne peut ignorer la petite
lucarne. Toutefois, cette dernière oblige
l’activité physique d’élite à procéder à des modifications dictées par un
impératif télégénique.
L’amour ne dure que si chacun en connaît le prix, et il vaut mieux
payer d’avance, sinon on risque de régler l’addition! Depuis quelques années,
c’est un peu à ses dépens que Monsieur Sport l’a appris, Madame TV portant
toujours davantage la culotte dans le ménage, avec l’appui tacite des
téléspectateurs. En effet, ironie du s(p)ort, Monsieur doit dorénavant se parer
de ses plus beaux atours afin de reconquérir sa belle. Une cour cathodique qui
n’épargne aucun sport... «Il nous faut créer une valeur additionnelle
permettant de séduire le téléspectateur, sans que les changements ne
prétéritent le sport. De fait, nous travaillons beaucoup sur la présentation et
l’attractivité de l’athlétisme. Nous sommes sur un marché et notre produit se
doit d’être intéressant, même si, en notre qualité de sport le plus important
des JO d’été, l’épée de Damoclès ne plane pas sur notre tête!», avoue Hansjörg
Wirz, président de l’Association européenne d’athlétisme. La suppression du
10000 mètres en Coupe d’Europe n’est, selon lui, «pas due aux médias, mais bien
en vue d’améliorer le déroulement de cette course». Avant, cette épreuve se
déroulait en plein après-midi, pendant le
meeting. Désormais, il s’agit d’une compétition à part entière,
disputée dans des conditions optimales.
«Notre société a évolué et les attentes ne sont plus les mêmes», avance
Hansjörg Wirz pour expliquer les changements de règlement, dont celui du faux
départ, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2003. Un seul départ anticipé par
course sera permis, contre un par athlète actuellement, soit 8 au maximum».
Que dire de la diminution des essais dans les divers lancers, le saut
en longueur et le triple saut? «Le passage de six tentatives à quatre ne
désavantage aucun compétiteur et permet d’abaisser le temps consacré à ces
concours, qui est nettement plus long que celui accordé aux autres épreuves.
Cette pratique, bien que non obligatoire, risque de se généraliser dans un
futur proche». Des changements de forme, mais pas de fond.
A la table olympique
Alors que l’athlétisme, de par son aura
médiatique, peut voir sereinement l’avenir, tous ne sont pas égaux devant la
boîte à images. Le tennis de table se démène corps et âme pour rendre son sport
attrayant. Afin de ralentir un jeu devenu trop rapide, la taille de la balle
est passée de 38 à 40 mm depuis les Jeux de Sydney. Les sets, quant à eux, se
jouent en 11 points, contre 21 auparavant, et la règle du service a été
simplifiée, la balle devant être visible du relanceur durant toute son
exécution. Suite à des tests de visibilité, les tables ont repris leur vert
initial, après une période bleue. «Nous tenons compte des besoins télévisuels,
sans toutefois en être esclave. C’est plutôt la concurrence avec les autres
sports qui nous oblige à réagir, sous peine de disparaître complètement. Si
l’on veut rester dans la course olympique, nous nous devons d’offrir un
spectacle de qualité», note Claude Bergeret, présidente de la Commission des
athlètes de la Fédération internationale de tennis de table (ITTF) et
championne du monde en double/mixte en 1977.
Depuis plus de deux ans, la Fédération internationale de volley-ball
(FIVB), forte de 33 millions de licenciés, s’est donné pour mission de redorer
son image, et le résultat est on ne peut plus concluant.
Volley-ball aguichant
Les nouveautés? Un système continu de comptage des points plus
compréhensible pour le néophyte, un ballon passé sous les pinceaux bleus et
jaunes, la création d’un poste de libero spécialisé dans la défense, le tout
agrémenté d’une touche sexy, puisque la garde-robe de ces dames - plus courte
et plus moulante - aguiche le regard au gré de leurs courbes! N’est-ce pas
trop? «C’est incontestablement un argument de vente! Mais je ne pense pas que
nous soyons tombés dans le voyeurisme. Cela suit notre stratégie de
communication, consistant à faire connaître nos champions. Les répercussions de
l’ensemble de ces changements se chiffrent en millions de francs», dixit
Jean-Pierre Seppey, manager général de la FIVB. Ce dernier confie ne pas
ressentir de pression de la part de la télévision, en restant cependant à son
écoute». Un échange de bons procédés qui ne lui fait pas oublier les priorités:
«Des stades pleins lors de compétitions».
Cette fédération ne cesse pas pour autant de soigner sa cote de
popularité: «Un championnat du monde des clubs va voir le jour l’année
prochaine. D’autre part, une catégorie pour les femmes de
moins de 175 cm et les hommes de moins de 185 cm sera créée,
vraisemblablement d’ici à 2004». La FIVB n’hésite pas à parier sur les «petits»
pour voir encore plus grand!
VICTIMES DU ZAPPING
Le sport se retrouve comme un insecte se débattant
dans une
toile d’araignée, emprisonné dans ce diktat
télévisuel.
Petit florilège non exhaustif.
Le football. Même le sport roi a dû descendre de
son trône,
comme le montre l’introduction du but en or (1966)
pendant
les prolongations, qui ne convainc que les chaînes
de télé.
Le cyclisme. Pour satisfaire les producteurs TV, en
mal de
spectacle, les organisateurs ont concentré les
difficultés des
classiques sur la deuxième moitié du parcours, afin
d’offrir
au téléspectateur un final de toute beauté.
Le ski. La lumière diurne n’est pas forcément celle
qui sied
le mieux aux tracés enneigés de la Coupe du monde.
L’éclairage artificiel des projecteurs en soirée
est souvent mieux,
particulièrement aux heures de grosse audience.
Le tennis. La petite balle, initialement blanche, a
pris une couleur jaune.
Le tie-break a mis un terme à des sets
interminables, donc ingérables.
Et désormais, Roger Federer et ses collègues ne
peuvent plus s’arrêter après la
première mise en jeu de chaque manche.
Frédéric Rein