SPARTACUS
Rappelez-vous ce
fabuleux péplum avec Kirk Douglas, Laurence Olivier, Peter Ustinov, Charles
Laughton et Tony Curtis. C’est resté un classique du genre, mais il est, s’en
étonnera-t-on, assez éloigné de la vérité historique. Après tout, un péplum qui
tenterait d’être fidèle à l’histoire perdrait d’un seul coup toute sa poésie un
peu kitch, donc tout son charme. Spartacus est bien différent du héros
romantique, défenseur des esclaves opprimés, que l’on a voulu en faire. Ce
Thrace aurait pu rester un honnête citoyen romain de province, s’il n’avait un
jour déserté de l’armée romaine. Pourchassé, capturé, il fut vendu comme
esclave, et finit dans une école de gladiateurs, sous la férule d’un
« doctor thraeccum » de Capoue nommé Batiatus. Le titre de
« doctor » n’avait dans ce contexte rien d’académique, mais désignait
un maître d’escrime. Spartacus passa donc sans doute par la rude école réservée
aux combattants du cirque. Armé au départ d’une épée de bois, les apprentis
gladiateurs devaient inlassablement répéter les attaques et les parades en
frappant l’ancêtre de notre bon vieux mannequin, un pieux fiché en terre, le
« palus », le terme désignant ensuite le degré de perfectionnement
atteint par l’élève : primus palus, secundus palus, chaque degré se
franchissant au prix d’une victoire. Les chroniques ont retenu des records de
16 couronnes, et il est probable que les malheureux qui avaient survécu aussi
longtemps finissaient graciés. Le saviez-vous, l’on vit même des femmes
gladiateurs. Juvénal (Satires VI), les brocarde gaillardement « Et ce sont
elles qui transpirent sous une robe légère et dont la délicatesse supporte mal
un chiffon de soie ? Regarde avec quel ahan elle porte les coups qu’on lui
a enseignés, comme elle plie sous le poids de son casque, comme elle est ferme
sur ses jarrets, de quelle épaisseur d’écorce sont faites ses bandelettes et ris lorsqu’elle dépose
cet attirail pour prendre son vase de nuit… ».
Revenons
à Spartacus. En 73 avant JC, secondé par deux acolytes gaulois, Crixius et
Oenomaus, il s’échappe avec quelque 80 autres gladiateurs qui, armés tout
d’abord de couteaux chapardés dans les cuisines, s’emparent d’un chargement
d’armes. Le temps, il faut le dire, était assez favorable aux vents de révolte
et aux prises de pouvoir par les armes. Gaius Marius et Lucius Cornelius Sylla
se faisaient des politesses pour se prendre réciproquement le pouvoir, par
coups d’états successifs, jusqu’à ce qu’un jeune général de 24 ans, qui
deviendra le grand Pompée, ne mette tout le monde d’accord.
Le
Sénat prit assez mal cette révolte d’esclaves, et envoya un préteur, Claudius
Glaber, mâter ces mutins dont le nombre avait grossi à trois mille. Spartacus
défit les cohortes romaines sur les pentes du Vésuve. En 72, la troupe avait
atteint quelque 70'000 esclaves. Spartacus rêvait de leur faire passer les
Alpes, mais les Gaulois et les Germains de sa troupe préféraient les délices
méridionaux, et se séparèrent de leur chef. Mal leur en prit : ils furent
battus par Publicola, et Crixius fut tué. Spartacus battit ce même Publicola
après avoir défait Lentulus. Pour venger Crixius, il transforma 300 prisonniers
en gladiateurs, les obligeant à combattre à mort. Les Germains et les Gaulois
refusaient toujours de prendre la direction des Alpes. Spartacus se dirigea
alors vers le sud, avec semble-t-il l’intention de s’embarquer pour la Sicile.
La troupe avait grossi à 120'000 hommes.
Le
Sénat, inquiet, confia une dizaine de légions à Crassus. Après une première
défaite, ce dernier poussa Spartacus jusqu’à la pointe de la botte italienne.
Trahi par les pirates siciliens, ce denier échoua dans sa tentative de
traverser le détroit. Il tenta de marcher sur Brundisium, mais Lucullus lui
barra la route. En 71, les Gaulois et les Germains lui faussent derechef
compagnie. Cela ne leur réussit pas mieux que la première fois. Ils se font
écraser par Crassus. Spartacus vole à leur secours, gagne une première
bataille, et Crassus finit par étouffer définitivement la
révolte dans un dernier affrontement. Le vainqueur, Dieu que les mœurs étaient
douces en ce temps là, marquera son succès en faisant crucifier six mille
prisonniers qui jalonneront la route de Capoue à Rome. Mais, alors que le jeune
Pompée se voyait accorder un triomphe à Rome pour célébrer ses victoires en
Espagne, Crassus ne se voyait accorder qu’une ovation (c’était nettement moins
flatteur) pour sa victoire sur les esclaves. Spartacus périt vraisemblablement
dans la dernière bataille, mais son corps ne fut jamais retrouvé. Il devait curieusement
retrouver une certaine célébrité au début du XXe siècle, car les communistes,
aussi brouillés avec la réalité historique que les metteurs en scène de
péplums, en firent le précurseur de la lutte des classes !
M B