LE BILLET TRIMESTRIEL DE

MAURICE BAUDET

 
                                                                                                                          

 

 

L’élégance

 

Demandez au premier venu quelle qualité l’escrime illustre le mieux, et vous aurez une fois sur deux cette réponse : l’élégance. Cette réputation me laisse parfois songeur, toutefois, car elle est fort flatteuse, et il y aurait lieu de mettre tout en œuvre pour la conserver.

 

Et pourtant, jetez un coup d’œil autour de vous, amis escrimeurs, et vous reconnaîtrez, si toutefois votre regard reste critique et lucide, que quelques efforts ne seraient pas superflus.

 

Commençons par ce qui est, semble-t-il, le plus simple et le plus évident : l’élégance vestimentaire. Il suffirait que les tenues soient agréablement blanches, et non d’un gris plâtreux ou striées de traces douteuses. Il serait aussi judicieux (et prudent) d’éviter les trous ou déchirures, et les marques trop évidentes d’usure. Il faut aussi rappeler que la salle d’armes n’est pas un bal populaire, et que les chaussettes en accordéon ne sont donc pas de mise.

 

L’élégance des gestes ensuite : à l’assaut, c’est l’une des choses les plus difficiles à acquérir, nous le savons tous. Il ne nous reste donc qu’à reconnaître en toute humilité qu’élégance et sobriété sont les maîtres mots de l’escrime, et à continuer de tendre à cet idéal si difficilement accessible. Plus prosaïquement, elle commande d’éviter de faire traîner nonchalamment sa rapière sur le sol, et de la ranger soigneusement au râtelier car elle n’a pas sa place au vestiaire. Elle appelle aussi de saluer son adversaire avec franchise et énergie. Elle est donc synonyme de gestes … de respect.

 

L’élégance des mots sonne agréablement à l’oreille : évitons donc d’avoir le verbe haut ou malséant, même si, le plus souvent, les propos un peu rudes qui peuvent sonner dans la salle sont adressés par le tireur furibond à … lui-même.

 

L’élégance des sentiments enfin, couronne tout le reste. L’assaut est une assez jolie métaphore de l’existence, et il concentre, en quelques minutes, un cortège de sentiments qui font l’ordinaire de l’âme humaine : du doute à l’orgueil, de la confiance à la peur, de la maîtrise de soi à l’égarement. Une petite tragi-comédie humaine se joue là, au cliquetis des armes répond le choc des idées, et comme tout cela va vite, très vite, nous n’avons guère le temps de nous mentir : l’assaut peut se traduire en fait par une  jolie séance de maïeutique au cour de laquelle l’esprit transpire aussi bien que le corps. Pour l’un et l’autre, il n’est guère  de faux-fuyants, car cela se traduirait par une touche, et celles que reçoit l’amour propre sont les plus douloureuses.

 

A la salle d’armes comme ailleurs, l’élégance n’est pas une simple attitude. Ne consisterait-elle pas dans le respect de soi-même, en toute lucidité, et dans celui de l’adversaire, en toute amitié ?

 

 

M B