En garde et défends-toi

Texte de Pierre Lacaze, paru dans « Escrime » de février 1983

Relevé par Me Jacques Hochstaetter

 

 

Le personnage situé à droite saisit, avec sa main gauche, la main

armée de son adversaire et riposte en tierce en se fendant à gauche

 

 

 

Micheline Cuenin, auteur du livre « Le duel sous l’ancien régime » en a choisi avec discernement l’illustration de la couverture qui représente une botte peu commune de nos jours. L’usage de la main non armée ne fut interdit qu’après la Révolution.

 

C’est en 1836, dans un essai sur le duel, premier code d’honneur, que le comte de Chatauvillard insista sur l’interdiction absolue d’utiliser la main non armée au cours d’une rencontre.


 

 

Duel des « mignons » du roi en 1578. D’après une gravure de temps. Musée de l’Armée.

 

On peut donc considérer que l’histoire du duel comprend deux époques.

1.    Avant la Révolution aucune réglementation : les duellistes tiennent dans une main l’épée ou la rapière, dans l’autre la dague, le poignard, ou le bouclier (en l’absence d’une seconde arme on peut se servir du manteau, de la cape, de la main nue ou gantée).

2. Après la Révolution, le code de l’honneur oblige les duellistes à se soumettre à un rituel et à des conventions basées sur l’égalité des chances et sur le respect de l’adversaire.

Limités par Saint-Louis (roi 1226-1270), puis tolérés par Louis Le Hutin (1314-1316), les duels judiciaires (première forme de combat « officiels ») furent de plus en plus rares. Henri II (1547-1559) mit un point final à ces coutumes étranges en autorisant la rencontre Jarnac-La Chataigneraie qui eut lieu à Saint-Germain-en-Laye le 10 juillet 1547.

Après François II qui ne resta sur le trône qu’un an (1559) Charles IX (1560-1574) accorda des statuts aux maîtres d’armes en même temps qu’il signait des ordonnances draconiennes contre les duellistes.

Fines mouches les « raffinés », ces spécialistes du point d’honneur, ne se laissèrent pas feinter par les décrets paradoxaux d’un souverain qui fermait les yeux sur les confrontations armées de son entourage ou de ses protégés.

Seuls quelques plumitifs vitupérèrent cette « pratique barbare réservée aux privilégiés » essayant de démontrer qu’elle était un fléau social.

Ce n’était pas l’avis d’Henri III (1574-1589), qui couvrit trois de ses mignons lorsqu’ils vidèrent leur querelle avec trois gentilshommes de la maison de Guise près de la porte Saint-Honoré à Paris.

Bouleversé par la perte de ses chers favoris, le roi (dit-on) leur donna un dernier baiser, préleva quelques mèches de leurs blondes chevelures, détacha les boucles d’oreilles qu’il leur avait offertes et leur fit élever un superbe mausolée.

Si les mignons du roi étaient courageux et n’hésitaient pas à dégainer, le baron de Biron, mignon du duc d’Epernon, lui-même mignon du roi, se battit


 

 

avec deux autres de ses acolytes contre trois adversaires d’une maison rivale. Bilan : trois morts.

La multiplication des duels inquiéta le pouvoir qui, en vingt-cinq ans, publia plus de dix décrets. Richelieu inspira au roi un nouveau décret en 1626 qui lui permettait de souffler le chaud et le froid.

Irrité par la nargue des contrevenants, Richelieu, fort de son édit de 1626, décida de frapper un grand coup : l’occasion lui fut fournie l’année suivante par le seigneur de Bouteville (François de Montmorency, 1600-1627), le premier raffiné du royaume.

(Raffiné, nom donné vers la fin du XVIe siècle à des gentilshommes qui se piquaient d’être pointilleux sur le point de l’honneur. Ils mettaient l’épée à la main pour tout et pour rien.)

Virtuose de l’épée, il était toujours en quête de rencontres ; après avoir tué le comte de Torigny il s’enfuit en Belgique mais, par défi de l’autorité du cardinal, il jura d’aller se battre en plein Paris. Provoquer le marquis de Beuvron, dont il avait envoyé un parent « ad patres », ne fut que l’affaire de quelques mots.

 

Duel de Bouteville sur la place Royale. Gravure du temps. Musée de l’Armée.

 

Le 12 mai 1627, à trois heures de l’après-midi, place Royale, de Bouteville et Beuvron sortirent leurs épées et leurs dagues. Les échanges furent acharnés : désarmements, corps à corps et empoignades, on termina au poignard ; mais grands seigneurs, les deux adversaires se réconcilièrent, laissant à leurs seconds le soin de s’étriper à qui mieux mieux.

Rattrapé par les sbires du cardinal, de Bouteville fut ramené à Paris et, malgré les suppliques des nobles les plus en cour, Richelieu, qui avait une haine des Montmorency, fit décapiter en place de Grève celui qui avait osé le défier. « Il s’agissait, Sire, de couper la gorge aux duels et non aux états de Votre Majesté. »

Tout autre était la moralité du futur cardinal de Retz.

Avant de revêtir la pourpre cardinalice, Paul de Gondi était chanoine de Notre-Dame de Paris. Il avait une conception peu orthodoxe du pardon des offensés.


 

 

Il eut, en effet, une altercation avec M. de Bassompierre et une affaire pour les beaux yeux de Mme de Châtelet. La clémence vint de très haut, après un sermon et une confession, on lui donna l’absolution.

A peine libéré de la tutelle d’Anne d’Autriche, Louis XIV ne céla pas l’inclination qu’il avait pour les actions d’éclat.

« Si on m’ôte les duels, comment ma noblesse pourra-t-elle témoigner son courage ?

-         Dans vos armées, sire.

-         Et s’il n’y a point de guerre ? »

Il y eut des guerres, il y eut des duels. Il y eut aussi des ordonnances contre les duels et des nouveaux statuts pour les maîtres d’armes, dont vingt furent anoblis.

Les Bas Bleus accouchèrent d’un nouveau mot : la duellomanie, qui deviendra quelques décennies plus tard le titre d’une tragi-comédie.

Duellomane ce baron d’Aspremont, qui eut trois duels dans la même journée.

Duellomane, ce chevalier d’Andrieux qui, à l’âge de trente ans, s’était battu 72 fois et qui promettait la vie sauve à ses victimes si elles reniaient Dieu, et les achevait pour avoir le plaisir de tuer « l’âme et le corps ».

Néanmoins les rencontres étaient moins meurtrières qu’au siècle précédent. La haute noblesse ; le prince de Condé, le duc de Richelieu, le duc de Brissac entre autres, avait lancé un style préfigurant la codification du duel, incitant le pouvoir à une indulgence encore plus grande.

Lorsque le duc d’Artois se battit avec le duc de Bourbon et qu’ils se furent réconciliés sur le terrain, Louis XVI les condamna à huit jours d’exil : le premier à Choisy, le second à Chantilly.

Dans l’armée le duel ne pouvait avoir lieu qu’avec l’assentiment du colonel ; celui-ci, préférant garder ses hommes pour la défense du royaume, n’accordait que parcimonieusement l’autorisation d’en découdre.

En 1787, le brigadier Ney fut désigné par les camarades de son régiment pour se battre en duel contre un dégaineur caractériel, maître d’armes au régiment de chasseur de Vintimille.

Le combat eut lieu au sabre.

Ney trancha le poignet de l’offenseur qui, à la suite de cette amputation, fut réformé et ne tarda pas à grossir la troupe des indigents.

Devenu duc d’Elchingen et maréchal d’Empire, l’ancien brigadier fut bon prince et octroya une pension à son malheureux adversaire.

 

                                                                              (Arrangement P.B.)