LE BILLET TRIMESTRIEL DE

MAURICE BAUDET

 
                                                                                                                          

 

Le débutant

 

 

Il s’avance timidement, tenant son épée comme un premier communiant un cierge. Sa tenue immaculée semble empesée, et pour peu l’on croirait l’entendre craquer comme une toile empesée à chaque pas. Tout son matériel d’ailleurs, flambant neuf, trop neuf, il le porte comme un handicap. Il jette sur les tireurs de la salle un regard apeuré, et dans son regard l’on peut lire à la fois l’angoisse de se faire inviter par un tireur, et l’espoir qu’il le fasse. Bien sûr, il est, comme son équipement, encore bien neuf, mais il sait d’instinct que l’invitation doit venir d’un aîné (dans l’entrée à la salle s’entend).

 

Enfin un « vous tirez » tonitruant  - doublé d’un regard appuyé pour bien faire savoir au timide que c’est à lui que l’on s’adresse – indique que le moment fatidique est arrivé. Et il sourit le bougre, et même pas de manière condescendante. Il attend posément, se présente fort civilement, ajoute même un mot de bienvenue et invite courtoisement à un petit échauffement préalable. L’infortuné débutant tremble, manque trois fois la coquille de son adversaire lors du contrôle des armes, s’excuse, bafouille, cafouille, finit par ajuster son masque, et se met en garde comme s’il attendait la mise à mort.

 

Le vieux briscard qui lui fait face fait alors preuve d’une rare indécision : il titille avec circonspection l’épée de son adversaire, lui tourne autour comme un cabot humant un réverbère, fait des simagrées et des minauderies. Le débutant en est tout décontenancé. Que signifie cette bizarre danse du scalp. Il ne réalise pas, le pauvre, (sans quoi il ne serait pas le débutant), que la plus grande prudence est de mise devant un personnage de son espèce. Devant un tireur confirmé, l’on se sent peu ou prou en pays de connaissance. Tout d’abord on n’en est pas, le plus souvent, au premier assaut contre lui. Ensuite, les règles sont établies.

 

Contre un débutant en revanche, tout peu arriver. Sa fraîcheur ingénue l’amène aux coups les plus invraisemblables, aux attaques les plus impertinentes, et aux ripostes les moins attendues. Un débutant peut être un adversaire qui réinvente avec l’esprit primesautier les règles de l’escrime, et dont chacun sait que sa pointe se trouvera exactement à l’endroit où elle ne devrait pas être, et où on ne l’attendait surtout pas.

 

Le débutant est, sans le savoir, la plus belle leçon de modestie que l’on puisse se voir infliger sur une piste. Certes, cela ne dure pas et l’expérience finit par payer. Mais, reconnaissons-le, ce cher débutant n’a pas son pareil pour faire douter un adversaire. Le vieux briscard en face de lui le savait fort bien, d’où ses tergiversations, son étrange valse hésitation. Affronter un débutant n’est jamais sans danger, et reste, ce n’est pas douteux, la plus belle façon de rappeler à un escrimeur qu’il n’en finira jamais d’apprendre.

 

 

M B