LE BILLET
TRIMESTRIEL DE MAURICE
BAUDET
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Un amusant rappel aux convenances affiché à la
salle enjoint le nouveau venu à se présenter au Président, le décrivant comme
« un homme entre deux âges, plus près du second que du premier
… ». Voila qui correspond bien mal
à cet éternel jeune homme nommé Patrick Cramer, notre Cher Président. Le
Président, dans la plupart des sociétés, et dans notre respectable Société
d’Escrime de Genève en particulier, est un Monsieur qui, dans un moment
d’égarement coupable et d’abnégation irréfléchie, a accepté de se faire
pousser, par ses compères un peu sournois, à cette charge bien lourde. En
effet, ne vous y trompez pas, la présidence est un cadeau empoisonné. En règle
générale, elle est présentée à l’intéressé comme la
juste récompense de ses talents et de ses mérites. Ce dernier s’apercevra très
vite qu’elle est en réalité une lourde condamnation aux travaux forcés. 1
Voyez en effet notre ami Patrick : même s’il
semble dominer le sujet de sa haute taille et de sa délicieuse courtoisie, il ne cesse d’être accablé des tâches les plus
invraisemblables : il doit tout à la fois expliquer à des parents furieux
le classement calamiteux de leur rejeton au tournoi de Sion, et se préoccuper
d’un robinet de douche resté coincé, il doit tenter de régler avec tact
les conflits, (même les plus ancestraux comme celui qui oppose les tenants de
l’escrime loisir et de l’escrime compétition), et faire évacuer des vestiaires
les fripes douteuses qui les encombrent. Il doit avec l’énergie du désespoir
courir après les fonds nécessaires à boucler des budgets en équilibre
perpétuellement instable, écouter avec impartialité les récriminations du
Maître comme celles des membres, ou tenter de conjuguer les intérêts souvent
peu compatibles d’escrimeurs dont les âges s’étalent de celui de la maternelle
à plus de quatre fois vingt ans. Pire encore, il lui faut affronter un certain
nombre de serpents de mer comme le judicieux équilibre des horaires de la salle
ou la formule du tournoi, pour ne citer que deux sujets qui ont fait couler
déjà des torrents de salive.
Comme si tous ces problèmes ne suffisaient pas, le
Président doit annuellement affronter une épreuve insoutenable :
l’Assemblée Générale. Probablement inspirée des horreurs de l’Inquisition,
cette torture mentale parfaitement indigne de gens civilisés consiste à jeter
en pâture un pauvre Président, qui pourtant n’a jamais démérité, à un quarteron
de mauvais coucheurs venus spécialement le houspiller sous les prétextes les
plus fallacieux. Bien qu’un certain nombre (assez maigre) de membres réputés
normaux assistent à l’événement, ces derniers se
tiennent étrangement cois et apathiques.
Mais notre Président, c’est aussi, et surtout, un
homme qui se bat avec la plus merveilleuse conviction pour notre sport, et qui
n’a qu’une idée en tête : gagner, ce qui est la moindre des choses me
direz-vous, pour un escrimeur, et surtout voir gagner ses troupes. Cela
explique pourquoi il persiste à être
partout à la fois, à se soucier de tout, et à forcer l’admiration de tous, même
des grincheux houspilleurs cités plus haut.
Un dernier mot, enfin, nous parlons toujours du
Président, mais pourquoi pas d’une Présidente ? Ne le répétez surtout pas
aux intéressés, cela pourrait venir, car d’aucuns, dans la salle, songent déjà
à faire de la Présidence une fonction héréditaire …
MB